Imaginez-vous flâner parmi la foule qui se presse sur le parvis nord de Roland-Garros, et soudain tomber nez à nez… avec un terrain de pickleball. Ni court de tennis, ni terrain de badminton, juste un petit filet, quelques balles perforées et des raquettes qui font un bruit si caractéristique à chaque échange. Rien d’anodin : pour la Fédération française de tennis (FFT), cette mise en avant en plein cœur de l’un des plus grands tournois au monde est une déclaration d’intentions. Car derrière le charme intergénérationnel et convivial du pickleball se joue une vraie bataille d’influence entre la FFT et la Fédération française de badminton (FFBaD). Leur enjeu commun ? Décrocher, d’ici décembre 2025, la délégation officielle du ministère des Sports pour devenir la « maison mère » de cette discipline en France.
Roland-Garros, un écrin inattendu
Au début du mois de juin 2025, les passants s’attendent à admirer Alcaraz, Djokovic ou Sinner. À la place, la FFT a installé un mini-terrain, offrant aux spectateurs stressés par les volleys de tennis un moment de découverte : initiations gratuites, démonstrations par des joueurs passionnés, et même un petit tournoi « exhibition » auquel pouvaient participer amateurs et VIP. L’idée ? Montrer que le pickleball n’est pas un phénomène de niche réservé aux États-Unis, mais bien un sport prêt à éclore ici, au pays des raquettes. Résultat : en cinq jours, plusieurs centaines de visiteurs ont enfilé leurs baskets et découvert le plaisir d’échanger des amorties, de jouer au filet ou derrière la ligne de service. Et la FFT, qui comptait déjà près de 400 clubs proposant du pickleball fin 2024, a clairement envoyé un message : « Regardez-nous, nous sommes prêts à développer ce sport ! »
La FFT mise tout sur le développement grandeur nature
Pourquoi un tel engouement de la part de la Fédération française de tennis ? La réponse tient en deux mots : réseau et moyens. En 2024, la FFT engrangeait près de 490 millions d’euros de chiffre d’affaires et fédérait plus de 7 000 clubs dans tout l’Hexagone. Son ambition est simple : répliquer au pickleball le succès qu’elle connaît depuis des décennies avec le tennis.
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Open de France à Aix-en-Provence : lancé en 2024, ce tournoi a rassemblé amateurs et passionnés autour d’un événement digne d’un vrai « championnat de France ». Objectif FFT : transformer cet Open en « Championnat de France » dès que la délégation ministérielle sera acquise.
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Chiffres 2024 : 400 clubs ont déjà intégré le pickleball dans leurs activités, rassemblant 15 000 pratiquants. Pour 2025, pas moins de 150 tournois étaient programmés, avec plus de 2 000 joueurs classés.
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Aides financières et logistiques : la FFT prévoit d’accompagner chaque club demandeur dans l’installation de terrains et l’achat de matériel. De quoi faciliter la création de nouveaux dojos pickleball dans des villes où, jusque-là, on ne trouvait que des courts de tennis ou des gymnases pour le badminton.
Aux yeux de la FFT, chaque club de tennis est un vivier potentiel : terrains en terre battue, murs d’entraînement, bénévoles entraînés à gérer des plannings de courts… Rien ne l’empêche d’ajouter un filet de pickleball à côté d’un court de tennis, ni de proposer des créneaux spécifiques pour attirer un public en quête de nouveauté. Dans les coulisses, on parle même d’un « plan de développement à cinq ans » : événements mensuels dans plusieurs régions, stages de formation pour les entraîneurs et partenariats avec des marques d’équipement.
La FFBaD riposte avec une stratégie de complémentarité
Face à l’appétit vorace de la FFT, la Fédération française de badminton a choisi la diplomatie. Le 24 mars 2025, elle annonçait un partenariat officiel avec la Fédération Pickleball France (FPF), petite structure née en 2018, forte d’environ 700 licenciés. L’idée ? Faire du pickleball une « discipline associée » au badminton, profitant ainsi du réseau déjà existant :
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250 000 licenciés badminton : si chaque club de badminton peut réserver un coin de gymnase pour un terrain de pickleball, la diffusion du sport pourrait s’accélérer du jour au lendemain.
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Gymnases équipés : le pickleball se joue sur un terrain très proche de celui du badminton. Filets, revêtements, marquages au sol… peu de modifications sont nécessaires. Pour Franck Laurent, président de la FFBaD, « accueillir le pickleball, c’est offrir une nouvelle pratique à nos licenciés sans bouleverser l’organisation de nos clubs ».
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Mutualisation des manifestations : en programmant des tournois mixtes badminton-pickleball, la FFBaD espère créer une passerelle naturelle entre les deux communautés. Pour les petits clubs ruraux, c’est aussi un moyen de rentabiliser leurs créneaux et d’attirer un public plus large, des familles aux seniors en passant par les sportifs aguerris.
Autre argument de la FFBaD : préserver l’identité de la FPF. Lors des discussions de l’été 2023, la FFT proposait d’absorber la FPF, mais la petite fédération refusait de devenir un simple département. « Nous ne voulions pas être un sport accessoire », rappelle Jean-Paul Bagot, secrétaire général de la FPF. Le partenariat avec la FFBaD garantit à la FPF un rôle de conseil, tout en bénéficiant d’un soutien logistique et médiatique plus robuste. Une manière de jouer gagnant-gagnant : la FFBaD enrichit son offre, la FPF reste maître de ses choix et ne risque pas de disparaître dans la machine FFT.
Et côté clubs et pratiquants ?
Sur le terrain, c’est une aubaine pour les clubs de petite ou moyenne taille. Prenons l’exemple du club de Badminton de Valence, qui depuis mai 2025 propose deux terrains de pickleball dans son gymnase : outre les 300 joueurs de badminton, une cinquantaine de néophytes ont déjà franchi la porte. « On a vu débarquer des familles entières, des étudiants, des retraités… Chacun a trouvé sa place », confie la co-responsable des activités. Les adhésions se sont multipliées, et le club a même lancé des initiations gratuites le week-end, histoire d’attirer encore plus de monde.
Chez les clubs de tennis, la dynamique est similaire. À Lyon, le club de la Tête d’Or a installé, en avril 2025, un mini-terrain de pickleball à côté de deux courts couverts. Thierry, 45 ans, membre depuis dix ans, raconte : « Je jouais régulièrement au tennis, mais entre le boulot et la famille, je n’avais plus le temps de m’entraîner. Le pickleball est arrivé comme une bouffée d’air frais : rapide, fun et hyper accessible. » Le club propose désormais des soirées « Pickle-Lights », où l’on joue en musique et sous des lumières tamisées. Bilan : + 30 % d’entrées de nouveaux adhérents en un mois.
Le gros enjeu : une place aux Jeux de 2032
Plus qu’une simple querelle de chapelles, l’enjeu se joue sur le plan international. Le pickleball, déjà populaire aux États-Unis, vise à intégrer le programme des Jeux de Brisbane 2032.
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Argument FFBaD : « Un gymnase configuré pour le badminton peut instantanément devenir un temple du pickleball », martèle Franck Laurent. Pour lui, la transition coûterait trois fois rien, et les clubs de badminton, parfois en manque d’animations, y trouveraient un nouvel élan.
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Argument FFT : « Notre maillage territorial est notre force », rétorque Sophie Amiach, ambassadrice FFT. Avec 7 000 clubs de tennis, des infrastructures professionnelles et un fort pouvoir d’attraction médiatique, la FFT se voit déjà piloter le développement du pickleball à grande échelle : « Nous avons les moyens financiers pour accompagner chaque club demandeur, former des entraîneurs et créer un circuit national digne de ce nom. »
En attendant la décision du ministère des Sports, prévue pour décembre 2025, les deux fédérations peaufinent leur dossier. Gilles Moretton, président de la FFT, l’a confirmé à Roland-Garros : « Notre dossier partira dès cet été. » De l’autre côté, la FFBaD prépare ses arguments pour renforcer la « délégation de service public » qu’elle souhaite renouveler.
Pourquoi c’est une bonne nouvelle pour vous
Que vous soyez joueur de badminton, amateur de tennis ou simplement curieux du pickleball, cette rivalité entre FFT et FFBaD va forcément vous profiter :
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Plus de terrains, plus de créativité
Les clubs vont multiplier les terrains mixtes, mixer les lexiques (smash, amortie, dinks…) et proposer des événements sympas comme des tournois nocturnes, des animations familiales, ou des stages pour enfants. -
Matériel toujours plus accessible
Entre les packs « raquette + balles » et les filets portables, vous pourrez tester différents échantillons de matériel. Certains coaches proposeront même des sessions « Testez avant d’acheter » dans votre club. -
Un calendrier de compétitions riche
Que vous soyez simple amateur ou joueur aguerri, attendez-vous à un véritable circuit national : circuits régionaux, Opens de France, tournois mixtes (tennis-pickleball ou badminton-pickleball), et pourquoi pas des festivals d’été autour du pickle. -
La perspective olympique
Si le pickleball atteint les Jeux de 2032, c’est un vrai tremplin pour les athlètes français. Imaginez : une médaille tricolore en pickleball, avec un joueur formé dans votre club ! Bref, le rêve devient plus concret d’année en année.
En attendant décembre 2025, on fait quoi ?
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Rejoignez votre club local : qu’il soit affilié FFT ou FFBaD, vous trouverez certainement des initiations ou des soirées découvertes. L’idée, c’est de partager un moment convivial, de rencontrer des gens passionnés et d’embarquer dans une véritable aventure collective.
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Testez, testez, testez : n’attendez pas la décision ministérielle pour vous faire plaisir. Lancez-vous dans des parties amicales, organisez un tournoi entre amis ou créez votre stage kids pendant les vacances d’été. Le pickleball, c’est l’occasion d’innover dans vos habitudes sportives sans casser votre tirelire.
En somme, que la FFT ou la FFBaD emporte la mise, c’est bel et bien vous, pratiquants et futurs pratiquants, qui aurez le plus à gagner. Plus de terrains, plus de tournois, plus de rendez-vous conviviaux et la perspective, pourquoi pas, de voir un Français brandir une médaille olympique en pickleball. Alors, sortez vos baskets, affûtez votre revers et préparez-vous à vivre une saison 2025/2026 qui s’annonce déjà inoubliable. On se retrouve sur le court !
Sources :
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Le Monde, 5 juin 2025
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Fédération française de badminton (FFBaD), 24 mars 2025
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L’Équipe, 2025